LES ARTS VISUELS EN MONTÉRÉGIE / LOUIS DULONGPRÉ Un artiste et son temps
Après 1763, le développement de lart pictural québécois accompagne laugmentation de la clientèle pour le portrait et lart religieux. Cinq peintres profitent de cette conjoncture favorable pour sinstaller au Québec au cours de la décennie qui suit la guerre dIndépendance américaine. En 1783, François Baillargé et Louis-Chrétien de Heer ouvrent la marche, rejoints lannée suivante par Louis Dulongpré. François Malepart de Beaucourt et William Bercy viennent aussi tenter leur chance dans le Bas-Canada, respectivement en 1792 et 1794. Tous ces peintres sont de tradition essentiellement européenne, se rattachant pour la plupart au classicisme français qui fleurit depuis Louis XIV; si leur art est considéré comme mineur, il constitue néanmoins un témoignage éloquent dune époque et dune civilisation. Le talent de Dulongpré sexprime dans des natures mortes, des paysages et même des caricatures, mais ce sont principalement la peinture religieuse et le portrait qui lui permettent de lexercer. Sa clientèle, le peintre français la trouve parmi les curés qui désirent rehausser le prestige de leur églises, par ailleurs de plus en plus nombreuses, et parmi les notables qui, en faisant peindre leur portrait, cherchent à affirmer leur rang social. Dans le premier cas, on doit à Dulongpré environ 200 toiles à caractère religieux quon retrouve encore dans une vingtaine déglises à travers le Québec, entre autres à Saint-Mathias (1811) et à Saint-Marc-sur-Richelieu (1823), en Montérégie.
Louis Dulongpré fut sans doute un des portraitistes les plus prolifiques de lhistoire du Québec, comme lindique la notice nécrologique parue dans La Minerve du 8 mai 1843 qui lui attribue 4 200 portraits au pastel et à lhuile au cours du demi siècle qua duré sa carrière. Plus généralement, toutefois, on saccorde pour estimer son uvre à 3 000 tableaux, dont une infime partie seulement de 50 à 100 selon les experts a été retrouvée et formellement identifiée. Dans un Bas-Canada en transformation, où la quête dune identité sociale est décisive, le portrait constitue un autre moyen de rendre visible lascension sociale dun individu ou dune famille. Il offre, par quelque apparat, loccasion de faire étalage de son importance ou de sa richesse, le marchand et le seigneur, mais aussi le gros cultivateur et le curé de campagne arrivant ainsi à se distinguer de la masse, en plus dassurer leur place dans lHistoire. On dit que peu de familles seigneuriales de la Vallée du Richelieu auraient résisté à lappel de la distinction et de la postérité. Par sa pertinence sociale, luvre de Dulongpré permet donc de personnifier toute une époque de lhistoire de la Montérégie et du Québec. Ce rôle de représentation visuelle des différences sociales, le portrait va le remplir en exclusivité jusquà la généralisation de la photographie, dans le dernier quart du XIXe siècle. Même si labsence de toute excentricité dans lexécution formelle de ses uvres annonce certaines influences étasuniennes, Dulongpré saligne sur les canons esthétiques qui prévalaient dans la France pré-révolutionnaire. Chez lui, lart du portrait connaît deux périodes, le pastel et lhuile, réparties de part et dautre des débuts du XlXe siècle. Afin de satisfaire sa clientèle, Dulongpré recherche la vraisemblance, la véracité des physionomies et des accessoires. Généralement, ses personnages son placés sur fond uni, lespace étant construit sur le principe des contrastes, le peintre aimant jouer avec la lumière et la finesse des textures. Selon lhistorien de lart Dennis Reid (A concise history of Canadian painting, 1973), la production de Dulongpré est dinégale qualité, certains portraits paraissant avoir été exécutés à la hâte. Par exemple, le peintre éprouve des difficultés à reproduire les mains, dont lanatomie est souvent erronée. Cependant, quand le sujet est un grand personnage ou un bourgeois en vue, la peinture de Dulongpré montre plus de style et de vraisemblance, arrivant à bien traduire les intentions du modèle. Louis Dulongpré et Saint-Hyacinthe Le séminaire de Saint-Hyacinthe possède sept portraits exécutés par Louis Dulongpré, dont trois furent vraisemblablement des commandes passées directement au peintre, soit ceux de labbé Antoine Girouard, de Jean Dessaulles et de labbé François-Joseph Deguise, ce dernier tableau ayant cependant été égaré dans la collection du séminaire; les quatre autres portraits furent sans doute légués au séminaire par les descendants de la famille Cartier, puisquil sagit de quatre de ses membres : Joseph Cartier et son épouse, Anne Cuvilier, ainsi que leurs fils Édouard et Eusèbe.
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